Session 11 • les accords colorés

Après un petit détour du côté des superpositions et des ombres, revenons-en à notre théorie de la couleur. Nous allons voir, aujourd'hui, comment faire bon usage du cercle chromatique, à travers une session sur les accords colorés.

C'est une des bases de l'enseignement de la couleur : une couleur n'existe jamais seule. Comprendre par là qu'une teinte donnée est toujours accompagnée d'autres nuances qui auront un impact les unes sur les autres.

Nous nous sommes tout·e·s, un jour ou l'autre, amusé·e·s avec ce genre de petits tests de perception où un carré d'une même couleur est mis en scène entouré de différentes teintes, ce qui nous donne l'impression que cette couleur de départ n'est pas exactement la même d'une zone à l'autre.

La raison en est relativement simple : une couleur donnée influence la perception que nous avons de la couleur qui lui est juxtaposée.

Pour la minute histoire de l'art, c'est le teinturier français Michel-Eugène Chevreul, qui est un des premiers à mettre en lumière la loi du contraste simultané. Wikipedia résume l'épisode de manière très efficace :

« Dans le domaine de la vision des couleurs, Chevreul s'est fait connaître des peintres pour sa loi du contraste simultané des couleurs : directeur de la manufacture des Gobelins, il est saisi des plaintes de teinturiers qui observent que certaines teintures ne donnent pas la couleur qu'on en attend. Il découvre d'abord que certaines teintures ne sont pas chimiquement stables. Mais surtout, il conclut de ses expérimentations que les problèmes les plus délicats ne sont de nature ni chimique, ni physique : ce ne sont pas les pigments qui sont en cause, mais la vision des couleurs quand des surfaces distinctes colorées différemment se trouvent à proximité. Chevreul décide alors de traiter le problème selon la méthode scientifique ; dès 1828, il publie un mémoire, développé en 750 pages en 1839 : De la loi du contraste simultané des couleurs et de l'assortiment des objets colorés. Il y montre qu'une couleur influence une couleur avoisinante : un même ton semble plus clair s'il est sur un fond plus sombre, les complémentaires se rendent plus vives mutuellement et les couleurs non complémentaires s'éloignent en ton. Ainsi, un jaune placé près d'un vert semble plus rouge, comme si on l'avait mélangé à un pourpre, complémentaire du vert ; la même teinte, placée près d'un rouge, tirera vers le jaune-vert. » (source : wikipedia).

Nous allons donc expérimenter un peu ensemble comment une même couleur, selon les teintes dont nous choisissons de l'entourer, pourra apparaître. De même, nous allons nous intéresser à comment certaines couleurs, associées ensemble, peuvent transmettre, traduire, des atmosphères et des sensations différentes. Là encore, d'une personne à l'autre, d'un jour à l'autre, en fonction des humeurs, des goûts et des sensibilités, le ressenti pourra différer. Il n'y a aucune bonne ou mauvaise réponse.

Il s'agit principalement, ici, d'explorer cette notion, afin de mieux comprendre certaines perceptions que nous pouvons avoir en regardant une photographie, un tableau, etc. Pourquoi, également, alors que nous partons tou·te·s d'un même modèle en cours, les rendus peuvent être tellement différents (et non, il ne s'agit pas seulement de talent ou d'expérience !).

Je vous propose donc, dans le carnet répertoire de réaliser un exercice comme celui ci-après :

(cette image a été scannée sur mon imprimante, les couleurs s'en trouvent quelque peu faussées... Pour les teintes originales, reportez-vous aux vignettes individuelles dans la suite de l'article.)

Le principe est donc de représenter cinq fois le même petit paysage, avec une couleur de départ (chez moi, le rouge), décliné ensuite en cinq variations d'accords colorés.

Dans la case tout à gauche, il est possible de réaliser, au crayon, une esquisse de la composition, soit uniquement en un travail au trait, soit en marquant déjà les valeurs (zones claire,s, moyennes et sombres), afin d'avoir une base de travail.

Dans les cinq autres cases, l'important, au-delà du choix des couleurs, sera d'essayer au mieux d'obtenir des compositions avec des valeurs similaires.

Commençons avec le plus basique des accords colorés : l'accord monochrome :

Accord Monochrome

Une fois notre couleur principale sélectionnée, nous pouvons donc entamer notre travail dans la première case. Ici, avec l'accord monochrome, le principe sera de travailler notre composition en valeurs : notre couleur principale sera la seule utilisée, travaillée avec plus ou moins d'intensité, plus ou moins de dilution.

Avantages et inconvénients du Monochrome :

Le rendu est agréable à l'œil, sans risque de "faux pas" visuel, où le travail de composition est fondamentalement basé sur les valeurs. La composition est équilibrée, sans réelle possibilité de mettre en avant un élément, autrement que par un contraste clair obscur.

La couleur choisie impactera à elle seule l'atmosphère de l'ensemble (dynamisme, mélancolie, paix, ...).

Couleurs Analogues

Notre palette de teintes comprendra notre couleur principale, accompagnée des deux couleurs qui l'entourent, sur le cercle chromatique. (n'hésitez pas à vous référer à mon propre cercle chromatique si vous estimez le vôtre imparfait, ou au moindre doute). Nous allons donc avoir un accord de trois teintes proches, qui s'harmonisent bien les unes avec les autres. 

A chacun·e de choisir comment répartir ces trois couleurs dans la composition : chacune peut posséder sa propre zone (une pour le ciel, une pour l'arrière-plan, une pour le premier plan), ou peut se mêler à une autre au sein d'une même zone. Il est également possible de choisir d'utiliser l'une d'entre elle de façon majoritaire, tandis que les deux autres seront plus anecdotiques.

Pour celles et ceux qui auraient une petite hésitation, vous pouvez réaliser un croquis rapide, sur une feuille à part, avec des crayons de couleur, afin de tester la répartition des couleurs.

Avantages et inconvénients des couleurs analogues :

Ils sont proches de ceux du monochrome...

Il est quasiment impossible de "rater" sa composition : ces couleurs s'associent parfaitement les unes aux autres, offrant à la composition un ensemble agréable à l'œil, au risque d'être parfois un peu monotone. Néanmoins, son avantage vis-à-vis de l'accord monochrome est qu'il offre plus de possibilité d'associations de couleurs, tout en pouvant jongler avec potentiel équilibre/déséquilibre dans la présence de chacune des teintes.

Accord Complémentaire

Toujours en utilisant notre couleur principale comme référence, nous allons choisir la couleur diamétralement opposée sur le cercle chromatique, pour réaliser l'accord complémentaire.

Comme il en était question dans le cadre des couleurs analogues, nous allons choisir comment répartir ces deux teintes dans la composition (une majoritaire et l'autre minoritaire ? Chacune avec une zone dédiée ? les deux couleurs juxtaposées, voire superposées, au sein d'une même zone ?). Selon les teintes utilisées, la question des valeurs sera d'autant plus importante. Dans l'exemple de mon rouge et de mon vert forêt, les deux couleurs sont de force/d'intensité presque similaire, mais ce ne sera pas nécessairement le cas avec toutes les paires de complémentaires. Ainsi, le jaune et le orange seront plus faibles que les teintes qui leur sont opposées. Bien que ce ne soit pas impossible, les zones "sombres"/de plus grande intensité seront plus complexes à rendre avec du jaune/du orange qu'avec du bleu ou du violet.

 

Avantages et inconvénients de l'usage des Complémentaires :

Une couleur n'est jamais aussi bien valorisée qu'avec sa complémentaire. Lorsque nous souhaitons mettre en avant la beauté d'une teinte, le contraste avec la complémentaire sera une évidence.

Le rendu visuel est intense, puissant, parfois même violent, mais on ne peut nier qu'il y a une certaine intensité dramatique dans ce genre de composition. L’équilibre entre les deux couleurs n’est pas toujours facile à créer : très souvent, il faudra réussir à jouer avec les proportions de chacune des couleurs.

Comme nous l'avons vu lors de la séance sur les gris colorés, il peut être très intéressant de réaliser une composition avec les complémentaires...et toutes les nuances obtenues par le mélange de ces deux couleurs.

Accord Triadique (ou équilatéral)

L'accord triadique de base réside dans l'utilisation des trois couleurs primaires. De manière générale, un accord triadique est obtenu en utilisant trois teintes situées de manière équidistante sur le cercle chromatique. Hormis les primaires, nous avons donc des associations comme rouge-vert citron-bleu indigo, orange-vert moyen-violet ou encore jaune tournesol-vert forêt-pourpre/fuchsia.

 

Avantages et inconvénients des Couleurs Triadiques :

Un peu dans l'idée des couleurs complémentaires, ces teintes vont s'équilibrer tout en créant une certaine dynamique visuelle. Là aussi, le jeu de proportions de chacune des couleurs va avoir son importance, tout comme les possibles superpositions. Le contraste, moins violent que dans l'usage des complémentaires permet de donner de l'intensité à la composition, avec un résultat moins violent, une harmonie souvent plus facile à réaliser.

Accord Composite

Nous allons ici utiliser deux couleurs juxtaposées sur le cercle chromatique, en leur associant une troisième couleur éloignée à 90° de la teinte principale (sur le cercle, nous sélectionnons donc une couleur adjacente à notre teinte principale d'un côté, puis, en partant de l'autre côté du cercle, une couleur un peu plus éloignée). Ainsi, avec le rouge, j'avais deux possibilités pour créer mon accord composite :

- le rouge, associé au orange (couleur adjacente, de la gamme qui part vers le jaune) et au violet (teinte à 90° du rouge, dans la gamme qui part vers le cyan)

- le rouge, associé au magenta (couleur adjacente, de la gamme qui part vers le cyan) et au jaune (teinte à 90° du rouge, dans la gamme de l'autre côté)

Avantages et inconvénients de l'accord Composite :

Cet accord est en quelque sorte un compromis entre les différentes propositions ci-dessus. Il possède le caractère agréable des couleurs adjacentes, associé à une pointe de tension visuelle de l'accord triadique/

 

Voici quelques propositions de modèle pour réaliser votre exercice. N'hésitez pas à sélectionner votre propre source d'inspiration : pensez alors à choisir une composition simple, mais qui possède malgré tout plusieurs éléments/plusieurs plans. Il est assez important de sélectionner également une image qui possède un minimum de contraste, de valeurs.

Et la mise en application ?

Il est vraiment important de noter que parmi les propositions faites ci-dessus, il n'y ni bonne, ni mauvaise réponse. Il n'y a pas de composition parfaite. Selon les modèles, les goûts...selon le moment de la journée, nous allons choisir l'une ou l'autre des propositions, déclinables presque à l'infini tant la couleur principale peut varier et apporter ainsi à l'aquarelle une immense variation de teintes associées.

Pour la mise en application, je vous invite d'abord à choisir un visuel qui vous servira de source d'inspiration (qu'il est, comme toujours, possible de modifier, recadrer, etc) et ensuite de choisir l'un des accords colorés pour le mettre en couleur.

Pour les plus aventureux·ses, vous pouvez même, en amont, choisir une atmosphère, une émotion que vous aimeriez rendre dans votre composition, avant de choisir votre couleur principale et l'accord coloré à utiliser. Rappelez-vous que le pire qui puisse arriver est que vous soyez un peu déçu·e par le résultat...sentiment qu'il sera toujours possible de détourner en faisant de petites retouches ou en faisant un deuxième essai. Le principe fondamental est d'essayer !

Ne cherchez pas nécessaire à faire réaliste et, au contraire, amusez-vous à détourner l'original ! Un paysage hivernal que l'on imagine en tons bleutés et froids ? Pourquoi ne pas le réaliser en couleurs chaudes ?

A vos pinceaux et bonnes créations !